Travaux publics : Ne se qualifient pas comme tels des travaux réalisés par une personne publique dans l’intérêt exclusif d’une personne privée

La décision rendue le 8 novembre 2021 par le Tribunal des conflits offre l’occasion de faire le point sur la notion de « travaux publics » qui, bien que classique en droit administratif, n’en demeure pas moins difficile d’application dans certaines hypothèses, notamment lorsque, comme dans l’affaire commentée, les travaux sont effectués par une collectivité publique pour le compte d’une personne privée.

Rappelons, à titre liminaire, que le « travail public » fut classiquement défini comme « tout travail immobilier effectué par une personne publique ou pour le compte de celle-ci, dans un but d’intérêt général » (CE, 10 juin 1921, « Commune de Montségur », Lebon, p. 573). À partir de l’arrêt « Effimief » rendu par le Tribunal des conflits le 28 mars 1955 (TC, n°01525), la jurisprudence a étendu la notion de « travaux publics » aux travaux immobiliers réalisés pour le compte d’une personne privée. Désormais, constitue donc un travail public tout travail immobilier exécuté, soit pour le compte d’une personne publique dans un but d’intérêt général, soit par une personne publique pour l’exécution d’une mission de service public (CE, 20 avril 1956, « Ministre de l’agriculture c/ consorts Grimouard », n°33961).

Dans l’affaire commentée, une société exploitait un camping sur le territoire de la commune de Port-la-Nouvelle ; lequel camping était situé en contrebas d’une falaise dépendant du domaine privé de la commune de Sigean. Un risque d’éboulement de la falaise ayant été mis en évidence par la sous-commission départementale pour la sécurité des occupants des terrains du camping et de stationnement des caravanes, la société exploitante a assigné en référé la commune de Sigean devant le tribunal de grande instance de Narbonne en vue d’obtenir, sous astreinte, la réalisation de travaux de sécurisation de la falaise.

Toutefois, ce tribunal a décliné sa compétence au motif que les travaux sollicités avaient un but d’intérêt général, même s’ils devaient être réalisés sur le domaine privé de la commune de Sigean ; de sorte que les litiges consécutifs à ces travaux et à la réparation des dommages dont ils pouvaient être la cause relevaient de la compétence du juge administratif. Saisi à son tour par cette même société d’une demande d’annulation du refus de la commune de Sigean de réaliser les travaux requis, le tribunal administratif de Montpellier a estimé que ces travaux ne pouvaient pas recevoir la qualification de travaux réalisés dans un but d’intérêt général et que les actes d’entretien du domaine privé d’une personne publique destinés à assurer la sécurité de tiers ou du public ou le refus d’engager des travaux, qui n’avaient pas la nature de « travaux publics », étaient des actes de droit privé relevant de la compétence du juge judiciaire. Ce tribunal, s’estimant également incompétent, a alors saisi le Tribunal des conflits.

Au point 4 de sa décision, le Tribunal des conflits rappelle tout d’abord qu’« ont le caractère de travaux publics les travaux immobiliers répondant à une fin d’intérêt général et qui comportent l’intervention d’une personne publique, soit en tant que collectivité réalisant les travaux, soit comme bénéficiaire de ceux-ci ».

Ce faisant, le juge des conflits rappelle ici les deux conditions fondamentales à la qualification de « travaux publics » dans le cas où ceux-ci sont exécutés par une personne publique pour le compte d’une personne privée :

  • l’opération de travaux répond à un but d’intérêt ;
  • l’opération de travaux comporte, à un stade quelconque, l’intervention d’une personne publique.

Or, en l’espèce, le Tribunal des conflits juge qu’« étant destinés à assurer la sécurité des occupants du camping dans l’intérêt exclusif de la société qui l’exploite, les travaux dont la réalisation est demandée à la commune de Sigean n’ont pas le caractère de travaux publics ».

Dès lors, le litige né de l’absence de réalisation de ces travaux, qui se rapporte à la gestion du domaine privé de la commune, relevait de la compétence de la juridiction judiciaire (pour d’autres exemples dans lesquels le juge a refusé la qualification de « travaux publics » au motif que les travaux en cause avaient été réalisés dans le seul intérêt de personnes privées, voir notamment : TC, 6 novembre 1967, « Société coopérative HLM « Notre cottage »», n°1902 ; TC, 4 mars 2002, « SCI La Valdaine et SCI du Beal c/ SNCF et Réseau Ferré de France », n°3269 ; CE, 21 décembre 1983, « Commune de Lège », n°36206 ; CAA Versailles, 30 novembre 2006, « Mlle Juillard », n°04VE01844).

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