Par un arrêt du 16 octobre 2024, la cour administrative d’appel de Douai a jugé qu’un CCAP rédigé de manière suffisamment claire et précise peut valablement déroger à la procédure d’établissement d’un décompte général et définitif tacite, même si l’article du CCAG auquel il déroge n’est pas spécifiquement mentionné (CAA Douai, 16 octobre 2024, n° 22DA00301).
En 2015, la Métropole européenne de Lille (MEL) avait conclu avec une société spécialisée un marché de travaux portant sur la construction d’une conduite de décharge des eaux pluviales vers la Lys à Armentières (Quai Beauvais). Les travaux ont été réceptionnés fin 2016 avec des réserves levées début 2017. Le 23 janvier 2018, la société titulaire a adressé à la MEL un projet de décompte final, suivi d’un décompte général adressé le 27 juillet 2018 en l’absence de réponse de la MEL. Le 8 octobre suivant, la MEL a transmis à la société un ordre de service portant notification du décompte général. Mais, s’estimant titulaire d’un décompte général et définitif tacite du fait du silence gardé par la MEL sur son courrier précité du 27 juillet 2018, ladite société a refusé de signer ce document. Puis, elle a saisi la juridiction administrative d’une demande tendant à la condamnation de la MEL à lui verser la somme de 1 079 719,73 euros au titre du solde du marché. Cette demande a été rejetée en première instance, puis en appel par la cour administrative de Douai.
Dans le cadre de son appel, la société titulaire invoquait deux arguments principaux. Elle faisait valoir que :
– si l’article 13 du CCAP récapitulant les dérogations apportées aux documents généraux et, en particulier, au CCAG Travaux, mentionnait l’article 13 de ce dernier dans son intégralité, cette circonstance ne rendait pas pour autant inapplicables au marché litigieux toutes les dispositions de l’article 13 du CCAG Travaux, et notamment celles de l’article 13.4.4 relatives à l’établissement d’un décompte général et définitif tacite ;
– l’article 5.1 du CCAP relatif aux modalités de règlement ne précisait pas expressément que les parties avaient entendu déroger aux dispositions du CCAG Travaux relatives à l’établissement d’un décompte général et définitif tacite.
Aussi entendables soient-ils, ces arguments devaient cependant être écartés au profit d’une stricte application de la jurisprudence du Conseil d’État qui considère, sauf dispositions contraires, qu’une dérogation au CCAG ou à tout autre principe contractuel est valable dès lors qu’elle est exprimée de manière claire et précise (CE, 31 juil. 1996, Carnac, n° 124065).
Dans la droite ligne de cette jurisprudence, la cour administrative d’appel de Douai a ainsi jugé que :
« 7. Il ressort des termes mêmes de son dernier alinéa, mentionnés au point 5, que l’article 5.1 du CCAP déroge expressément au CCAG – Travaux en ce qui concerne le règlement des prestations, ainsi que le rappelle l’article 13 du même CCAP. Ce document, signé par les parties, prévoit donc de façon exhaustive les modalités de règlement, d’une part, des demandes de paiement mensuelles et des acomptes mensuels à l’article 5.1.1 et, d’autre part, de la demande de paiement final et du décompte général à l’article 5.1.2. La circonstance qu’il ne soit pas expressément précisé à l’article 5.1 que les parties ont entendu déroger aux dispositions du CCAG – Travaux relatives à l’établissement d’un décompte général et définitif tacite est sans incidence sur son application dès lors que ses stipulations se suffisent à elles-mêmes pour assurer le règlement des prestations, notamment dans le cadre du décompte général. A cet égard, et ainsi que le reconnaît la société appelante, l’article 5.1.2 du CCAP prévoit d’ailleurs des délais qui ne sont pas compatibles avec ceux prévus par l’article 13.4.4 du CCAG se rapportant à l’établissement d’un décompte général et définitif tacite. De même, si l’article 5.1 mentionne expressément qu’il est fait application de l’article 13.2.2 du CCAG pour les cas de contestation sur le montant d’empêchement relatif au paiement et de suspension du délai de paiement et que, par dérogation à l’article 13.3.2 du même document, il est fait application des dispositions de son article 41.6 en ce qui concerne la date du procès-verbal de levée des réserves, il ne se déduit pas de ces stipulations la volonté des parties de rendre applicables toutes les autres dispositions de l’article 13 du CCAG auxquelles il n’est pas également expressément dérogé à l’article 5.1 du CCAP. Dans ces conditions, c’est à bon droit que le tribunal a retenu que l’article 5.1 du CCAP régissant de manière exhaustive la procédure d’établissement du décompte général et définitif du marché, la société Sogea Nord Hydraulique ne pouvait se prévaloir de l’acquisition d’un décompte général et définitif tacite dans les conditions fixées à l’article 13.4.4 du CCAG. »
Au regard de l’importance des enjeux financiers en cause dans certains marchés de travaux, cette solution rappelle toute la nécessité d’une lecture attentive des stipulations du CCAP applicable.
En l’occurrence, la société titulaire estimait à tort qu’un décompte tacite lui était acquis et s’était dispensée d’adresser au maître d’ouvrage un mémoire en réclamation en bonne et due forme.
Cette erreur lui aura coûté l’intégralité de ses demandes d’indemnisation.