Le décret du 30 décembre 2024 portant diverses mesures de simplification du droit de la commande publique porte-t-il bien son nom ?

Le décret n°2024-1251 du 30 décembre 2024 qui a été publié au Journal Officiel le 31 décembre modifie le Code de la commande publique (le CCP) pour y introduire plusieurs mesures destinées à faciliter l’accès des petites et moyennes entreprises (PME) à la commande publique, et à assouplir les règles d’exécution financière des marchés publics.

Les mesures qu’il prévoit s’appliquent aux marchés et aux contrats de concession pour lesquels une consultation est engagée à compter du 1er janvier 2025. Les principales dispositions de ce décret sont présentées ci-après.

L’augmentation de la part des prestations confiées à des PME ou des artisans dans le cadre des marchés globaux1 et des marchés de partenariat

L’article R. 2171-23 du CCP relatif aux marchés globaux et l’article R. 2213-5 relatif aux marchés de partenariat2 sont modifiés pour prévoir que la part minimale de prestations que le titulaire s’engage à confier à des PME ou des artisans est de 20% du montant prévisionnel du marché (au lieu de 10% avant l’entrée en vigueur du décret).

Cette mesure pourrait être perçue par les plus grandes entreprises qui candidatent à ces marchés comme étant formulée à leur détriment, en réduisant la part de leurs prestations. Elle pourra donc avoir une incidence dans la négociation des contrats de sous-traitance entre les grandes entreprises titulaires de marchés globaux et les PME.

L’abaissement du montant de la retenue de garantie pour les PME

L’article R. 2191-33 du CCP prévoyait que le montant de la retenue de garantie ayant pour objet de couvrir les réserves formulées à la réception des prestations, ne pouvait excéder 3% du montant initial du marché lorsque celui-ci était conclu entre l’Etat et une PME.

Le décret du 31 décembre 2024 étend cette limitation du montant de la retenue de garantie aux marchés conclus par d’autres acheteurs ayant une certaine « taille critique », à savoir :

• les établissements publics administratifs de l’Etat dont les charges de fonctionnement sont supérieures à 60 millions d’euros3,
• les collectivités territoriales, leurs établissements publics et leurs groupements, dont les dépenses réelles de fonctionnement sont supérieures à 60 millions d’euros4.

Cette mesure favorable à la trésorerie des PME peut sans aucun doute faciliter leur accès aux marchés des collectivités et établissements publics de taille importante.

La remise en concurrence des titulaires d’un accord-cadre multi-attributaire

L’article R. 2162-2 du CCP prévoit que les accords-cadres s’exécutent :

• soit par la conclusion de marchés subséquents lorsqu’ils ne fixent pas toutes les stipulations contractuelles,
• soit par l’émission de bons de commande lorsqu’ils fixent toutes les stipulations contractuelles.

Cet article est complété pour permettre à l’acheteur de passer un accord-cadre « mixte », à savoir : dans le cas d’un accord-cadre multi-attributaires qui fixe toutes les stipulations contractuelles, l’acheteur peut prévoir que, pour une partie des prestations, il sera exécuté non pas par l’émission de bons de commande, mais par des marchés subséquents après remise en concurrence des titulaires.

Cette possibilité est encadrée par trois conditions cumulatives. Les documents de la consultation doivent :

1°) indiquer expressément que l’acheteur a la possibilité de recourir à ce mécanisme ;

2°) définir les « circonstances objectives » dans lesquelles l’acheteur peut décider de passer un marché subséquent après remise en concurrence au lieu d’un bon de commande, ce qui signifie que cette faculté n’est pas purement discrétionnaire ;

3°) préciser les termes de l’accord-cadre qui peuvent faire l’objet d’une remise en concurrence, ce qui signifie que cette « remise en concurrence partielle » ne doit pas avoir pour effet de modifier substantiellement les termes de l’accord-cadre. En effet, elle a essentiellement pour vocation d’inciter les titulaires de l’accord-cadre à présenter leur meilleure offre à l’occasion de la survenance du besoin donnant lieu à un nouveau marché subséquent.

La remise en cause de l’intangibilité des groupements d’opérateurs économiques au cours de la procédure

D’une part, l’article R. 2142-3 du CCP est complété pour permettre, dans le cadre d’une procédure comportant des phases de négociation ou de dialogue, que des candidats se constituent en groupement en cours de procédure, c’est-à-dire entre la date de remise des candidatures et la date de signature du marché.

Un candidat peut former un groupement soit avec un ou plusieurs autres candidats participant à la négociation, soit avec un ou plusieurs « opérateurs économiques aux capacités desquels il a eu recours »5.

Pour ce faire, l’article précité dans sa nouvelle rédaction, pose deux conditions cumulatives, à savoir :

1°) que le groupement qui en résulte dispose des garanties économiques et professionnelles exigées par l’acheteur pour pouvoir participer à la procédure.

En pratique, cette condition ne devrait pas poser trop difficultés. En effet, si un groupement se forme entre plusieurs candidats individuels qui avaient été invités à négocier ou à participer au dialogue, il y a peu de doute sur le fait qu’ils disposent chacun et collectivement, des garanties requises. La satisfaction de cette condition devra être examinée avec davantage de vigilance dans le cas où un candidat individuel demande à former un groupement avec un ‘opérateur aux capacités duquel il a recours’ qui n’est pas lui-même un candidat participant à la négociation, car ses garanties économiques et professionnelles n’auront pas été vérifiées par l’acheteur avant la phase de négociation (ou de dialogue).

2°) que la constitution de ce groupement « ne porte pas atteinte au principe d’égalité de traitement des candidats , ni à une concurrence effective entre ceux-ci ».

En pratique, le regroupement de différents opérateurs économiques participant à la procédure ne doit pas avoir pour effet de supprimer la concurrence en plaçant l’acheteur dans la situation où il n’aurait plus le choix entre plusieurs offres régulières répondant à son besoin à des conditions économiques acceptables.

D’autre part, l’article R. 2142-26 du CCP relatif à la composition des groupements est complété pour permettre, dans le cadre d’une procédure comportant des phases de négociation ou de dialogue, de modifier la composition d’un groupement sur demande de ses membres, en cours de procédure.

Cette possibilité de modification de la composition d’un groupement est soumise aux deux conditions cumulatives posées par l’article R. 2142-3 précité pour la formation de groupements en cours de procédure. Dans ce cas, la satisfaction de la première condition tenant au maintien des garanties économiques et professionnelles exigées par l’acheteur, pourra poser une difficulté si la modification du groupement implique le départ de l’un de ses membres, sans qu’il ne soit remplacé par un autre opérateur présentant des garanties équivalentes.

Si cette mesure peut inciter des PME à se lancer dans des procédures négociées sans avoir besoin de fixer, en amont, toutes les modalités de fonctionnement d’un groupement d’opérateurs, elle ne facilitera sans doute pas la gestion de la procédure négociée par l’acheteur. En effet, le texte prévoit que « l’acheteur peut autoriser » la constitution ou la modification d’un groupement en cours de procédure, sur demande des candidats concernés. Cette possibilité, qui est une simple faculté pour l’acheteur, pose plusieurs questions pratiques et juridiques :

1°) L’acheteur peut-il ou doit-il encadrer cette faculté dans les documents de la consultation, par exemple, en fixant une date limite ou une étape de la procédure au-delà de laquelle les candidats ne pourront plus demander la formation ou la modification de groupements, et/ou en déterminant un formalisme pour faire la demande et communiquer la réponse ? Quoi qu’il en soit, il devra tenir compte de l’incidence que cette nouvelle possibilité peut avoir sur les délais de procédure…

2°) L’acheteur devra s’assurer que la constitution ou la modification d’un groupement en cours de procédure n’a pas pour effet de remettre en cause les éléments des offres qui ont été négociés précédemment avec chaque candidat, afin de ne pas porter atteinte à la concurrence. En effet, lorsqu’un candidat qui se présentait seul pour exécuter la totalité du marché, ne réalise plus qu’une partie des prestations car il laisse l’autre partie à son co-traitant, cela peut remettre en cause les conditions de son offre…

3°) En cas de refus de l’acheteur, dans quelle mesure devra-t-il motiver sa décision au regard des deux conditions posées par le texte ? Ce refus et/ou sa motivation pourront-ils être contestés par les demandeurs ? Si ce n’est en cours de procédure, cette contestation pourra certainement avoir lieu au contentieux dans le cadre d’un référé précontractuel, voire d’un recours de plein contentieux contractuel.

Dans tous les cas, cette nouvelle possibilité risque de rendre plus délicat le maintien d’un équilibre entre transparence de la procédure confidentialité des négociations…

 


1. Les marchés globaux sont : les marchés de conception-réalisation, les marchés globaux de performance et les marchés globaux dits « sectoriels » (propres aux bâtiments de la police, la gendarmerie, les centres pénitentiaires, etc.).
2. A noter que cette mesure s’applique également aux marchés de partenariat de défense et de sécurité (article R. 2373-1 du CCP).
3. Ce seuil est apprécié au regard de l’avant-dernier exercice financier clos à la date du marché.
4. Ce seuil est apprécié au regard des dépenses de fonctionnement constatées dans le compte de gestion du budget principal au titre de l’avant-dernier exercice clos.
5. En pratique, il peut s’agir de sociétés appartenant au même groupe que l’entreprise candidate ou des sous-traitants sur lesquels il s’appuie pour faire valoir qu’il dispose des capacités requises pour l’exécution du marché.

Sources et liens

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