La méconnaissance du principe d’impartialité justifie l’annulation du contrat

Par une décision du 25 novembre 2021, le Conseil d’État est venu préciser que le fait pour le pouvoir adjudicateur de se trouver en situation de conflit d’intérêts au cours de la procédure de sélection du titulaire d’un contrat constitue, par lui-même, une méconnaissance du principe d’impartialité et, en conséquence, un vice d’une particulière gravité justifiant l’annulation du contrat.

Peu importe, à cet égard, qu’une intention de la part du pouvoir adjudicateur de favoriser un candidat soit caractérisée.

En l’espèce, un agent de la collectivité de Corse ayant participé à la procédure de passation d’un marché portant sur la conception, l’installation et l’administration d’un réseau régional à très haut débit pour les établissements d’enseignement et de recherche de Corse au stade de l’analyse des candidatures et des offres avait occupé, immédiatement avant son recrutement par la collectivité et seulement trois mois avant l’attribution du marché, des fonctions au sein de la société attributaire (la société NXO France). La société Corsica Networks, candidate à ce marché qui s’était vue évincer de la procédure de passation, a alors saisi le tribunal administratif de Bastia aux fins d’annulation du marché et de condamnation de la collectivité de Corse à l’indemniser des préjudices subis du fait de son éviction de la procédure. Déboutée en première instance, la société Corsica Networks a saisi la cour administrative d’appel de Marseille qui, dans un arrêt du 14 juin 2021 (n°20MA02773), a décidé d’annuler le contrat avec effet différé et d’ordonner avant-dire droit une expertise portant sur l’évaluation du manque à gagner subi par la société Corsica Networks.

C’est dans ce contexte que la collectivité de Corse s’est pourvue en cassation ; donnant ainsi l’occasion au Conseil d’État de préciser sa jurisprudence « société Applicam » (CE, 14 octobre 2015, n°390968) depuis laquelle il est acquis que la méconnaissance du principe d’impartialité est constitutive d’un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence justifiant l’annulation de la procédure de passation.

Au point 5 de sa décision, le Conseil d’État juge tout d’abord que le principe d’impartialité implique l’absence de situation de conflit d’intérêts au cours de la procédure de sélection du titulaire du contrat, et que l’existence d’une telle situation au cours de la procédure d’attribution est constitutive d’un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence susceptible d’entacher la validité du contrat :

« 5. D’autre part, au nombre des principes généraux du droit qui s’imposent au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative figure le principe d’impartialité, qui implique l’absence de situation de conflit d’intérêts au cours de la procédure de sélection du titulaire du contrat. Aux termes du 5° du I de l’article 48 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, applicable au marché litigieux, désormais codifié à l’article L. 2141-10 du code de la commande publique :  » Constitue une situation de conflit d’intérêts toute situation dans laquelle une personne qui participe au déroulement de la procédure de passation du marché public ou est susceptible d’en influencer l’issue a, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou tout autre intérêt personnel qui pourrait compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du marché public « . L’existence d’une situation de conflit d’intérêts au cours de la procédure d’attribution du marché est constitutive d’un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence susceptible d’entacher la validité du contrat ».

La Haute juridiction relève ensuite, au point 6 de sa décision :

« (…) il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que M. L…, désigné par le règlement de consultation du marché comme le  » technicien en charge du dossier « , chargé notamment de fournir des renseignements techniques aux candidats, a exercé des fonctions d’ingénieur-chef de projet en matière de nouvelles technologies de l’information et de la communication au sein de l’agence d’Ajaccio de la société NXO France. L’intéressé a occupé cet emploi immédiatement avant son recrutement par la collectivité de Corse et trois mois avant l’attribution du marché. Le procès-verbal d’ouverture des plis mentionne qu’il s’est vu remettre les plis  » en vue de leur analyse au regard des critères de sélection des candidatures et des offres « . Si M. L… n’était pas l’un des cadres dirigeants de la société NXO France, il occupait des fonctions de haut niveau au sein de la représentation locale de la société NXO France et ces fonctions avaient trait à un objet en relation directe avec le contenu du marché. Eu égard au niveau et à la nature des responsabilités confiées à M. L… au sein de la société NXO France puis des services de la collectivité de Corse et au caractère très récent de son appartenance à cette société et alors même qu’il n’a pas signé le rapport d’analyse des offres, la cour n’a ni inexactement qualifié les faits de l’espèce ni commis d’erreur de droit en jugeant que sa participation à la procédure de sélection des candidatures et des offres pouvait légitimement faire naître un doute sur la persistance d’intérêts le liant à la société NXO France et par voie de conséquence sur l’impartialité de la procédure suivie par la collectivité de Corse ».

Et elle ajoute que « contrairement à ce que soutient la collectivité de Corse, la cour administrative d’appel, dont l’arrêt est suffisamment motivé, n’a ni inexactement qualifié les faits ni commis d’erreur de droit en jugeant, sans relever une intention de sa part de favoriser un candidat, qu’eu égard à sa nature, la méconnaissance du principe d’impartialité était par elle-même constitutive d’un vice d’une particulière gravité justifiant l’annulation du contrat à l’exclusion de toute autre mesure ».

On retiendra donc de cette décision du Conseil d’État qu’outre que l’existence d’une situation de conflit d’intérêts est, par elle-même, constitutive d’une méconnaissance du principe d’impartialité de nature à justifier l’annulation d’un contrat (et, le cas échéant, de la procédure de passation), l’existence d’un doute légitime sur la partialité du pouvoir adjudicateur peut, à elle, seule suffire pour annuler un tel contrat.

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