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Un arrêt du Conseil d’Etat du 10 octobre 2018 apporte des précisions intéressantes sur la durée des marchés et les conditions du recours à un marché négocié sans publicité ni mise en concurrence

Dans cette affaire, un syndicat de traitement des déchets (le SYDNE) avait conclu un important marché de prestations de services portant sur le tri et le stockage des déchets non dangereux.

Ce marché avait été conclu par le syndicat sans publicité ni mise en concurrence préalable alors même que son montant était estimé à 243 millions d’euros sur une durée de 15 ans.

Le syndicat faisait valoir qu’il se trouvait dans un cas prévu par l’article 30 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, l’autorisant à conclure le contrat sans aucune publicité ni mise en concurrence. L’hypothèse invoquée, classique, était celle du I de l’article 30 selon les termes duquel il est possible de se passer de publicité et de mise en concurrence :

« 3° Lorsque les travaux, fournitures ou services ne peuvent être fournis que par un opérateur économique déterminé, pour l’une des raisons suivantes :

a) (…)

b) Des raisons techniques. (…)

Les raisons mentionnées aux b et c ne s’appliquent que lorsqu’il n’existe aucune solution alternative ou de remplacement raisonnable et que l’absence de concurrence ne résulte pas d’une restriction artificielle des caractéristiques du marché public ; »

Dans sa décision, le Conseil d’Etat va très logiquement prononcer la suspension de l’exécution du marché (il s’agissait d’un référé suspension introduit parallèlement à un recours en contestation de validité du contrat) en s’appuyant sur deux motifs : le recours à un marché sans publicité ni mise en concurrence semble manifestement irrégulier, de même que la durée du marché compte tenu de ses caractéristiques.

L’affaire est d’autant plus intéressante que les jurisprudences ayant eu à connaître de ces deux sujets sont peu abondantes, voire très rares pour ce qui est de la durée des marchés.

1.  Concernant l’absence de publicité, la solution est sans surprise tant l’analyse de la jurisprudence montre que le juge est d’une particulière sévérité dès qu’il examine la possibilité de déroger au sacro-saint principe de la mise en concurrence préalable à l’attribution d’un contrat de la commande publique.

Le Conseil d’Etat avait ainsi déjà eu l’occasion d’indiquer que le recours à un marché négocié sans publicité ni mise en concurrence, impose (CE, 2 octobre 2013, Département de l’Oise, req. n° 368846) :

« […] non seulement des raisons techniques (…) mais, en outre, que celles-ci rendent indispensables l’attribution du marché à un prestataire déterminé ».

Le juge vérifie donc concrètement que les motifs techniques invoqués par le pouvoir adjudicateur rendent impossible la satisfaction de son besoin par un autre moyen (CE, 19 septembre 2007, Communauté d’agglomération de Saint Etienne Métropole, req. n° 296192 ; CE, 29 novembre 1996, Département des Alpes de Haute-Provence, req. n° 102165 ; CJCE, 8 avril 2008, Commission c/ République Italienne, aff. C-337/05).

L’apport de l’arrêt du 10 octobre 2018, se situe dans le fait que le Conseil d’Etat y considère « qu’il n’apparaît pas qu’aucun autre opérateur économique n’aurait pu se manifester si le calendrier retenu par le SYDNE avait été différent ».

On voit ainsi que le juge effectue un contrôle approfondi des caractéristiques du marché afin de vérifier si l’absence de concurrence invoquée par le pouvoir adjudicateur ne résulte pas en réalité « d’une restriction artificielle des caractéristiques du marché public », qui aurait été (volontairement ou non) organisée par le pouvoir adjudicateur.

Pour bénéficier de cette exception aux règles de publicité et de mise en concurrence, il faut ainsi être capable de démontrer qu’aucun autre prestataire que celui retenu n’est en mesure de répondre au besoin de la personne publique et ce pour des raisons qui sont étrangères à la façon dont la consultation a été organisée.

2. Mais l’exécution du marché est ici également suspendue compte tenu du doute sérieux quant à la légalité de sa durée (15 ans).

En droit nous l’avons dit, nous n’avions jusqu’ici que peu de points de repères pour déterminer la légalité de la durée d’un marché. La jurisprudence est extrêmement rare, alors que le texte ne donne que très peu d’indications et laisse, en conséquence, une très large marge d’appréciation au juge.

En effet, l’article 16 du décret relatif aux marchés publics se contente d’indiquer que : « la durée d’un marché public est fixée en tenant compte de la nature des prestations et de la nécessité d’une remise en concurrence périodique. »

Dans l’affaire soumise au Conseil d’Etat il est intéressant de relever que le syndicat entendait probablement justifier cette importante durée par le fait que le titulaire du marché devait construire un nouveau centre de tri pour faire face à la prestation de services qui lui était commandée.

Mais le Conseil d’Etat n’a pas été sensible à cet argument au cas particulier, dès lors que le centre de tri à construire « n’est pas destiné à faire retour à la collectivité ».

La position du Conseil d’Etat semble, sur ce point, bien moins évidente que sur le premier moyen. Car on peut supposer que le titulaire du marché pourrait être extrêmement réticent à réaliser les investissements nécessaires à la prestation de services demandée, s’il n’est pas assuré de les amortir. Lancer un marché de courte durée pourrait donc, dans ces conditions, conduire à son infructuosité.

La position du juge serait-elle différente en cas de concession ? On peut l’espérer, d’une part, parce que le Conseil d’Etat, dans son arrêt du 10 octobre 2018, prend la peine d’insister, dans sa démonstration, sur « la circonstance que le contrat litigieux est un marché de services » et d’autre part, car les textes relatifs aux concessions sont plus précis et font expressément référence au fait que la durée du contrat ne doit pas excéder « le temps raisonnablement escompté par le concessionnaire pour qu’il amortisse les investissements réalisés pour l’exploitation des ouvrages ou services avec un retour sur les capitaux investis, compte tenu des investissements nécessaires à l’exécution du contrat. » (art. 6 du décret2016-86)

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