Reconnaissance de la responsabilité de l’Etat dans la pollution à la chlordécone

Le 29 février 2024, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture, à la quasi-unanimité des votants, une proposition de loi visant à reconnaitre la responsabilité de l’Etat dans les conséquences de la pollution à la chlordécone, que le Président Macron avait qualifié en 2018 de « scandale environnemental ».

La première phrase du texte expose sans ambages que : « La République Française reconnait sa responsabilité dans les préjudices sanitaires, moraux, écologiques et économiques subis par les territoires de Guadeloupe et de Martinique et par leurs populations résultant de l’autorisation de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques à base de chlordécone et de leur usage prolongé comme insecticide agricole. »

Il s’agit donc d’une reconnaissance officielle, et symbolique, de la responsabilité de l’Etat d’avoir autorisé l’utilisation massive et prolongée, dans les bananeraies de Martinique et de Guadeloupe, de produits phytosanitaires à base de chlordécone, molécule pourtant classée « cancérogène possible » par l’OMS dès 1979, et interdite aux Etats-Unis depuis 1975.

Elle intervient un an après le non-lieu prononcé par le Parquet de Paris, à l’issue de l’information judiciaire ouverte suite à la plainte déposée en 2006 par plusieurs associations martiniquaises et guadeloupéennes pour empoisonnement, mise en danger de la vie d’autrui, et administration de substance nuisible, non-lieu motivé par l’impossibilité de caractériser une infraction pénale.

Pour rappel, la chlordécone est un insecticide organochloré toxique et écotoxique, visant à lutter contre le charançon du bananier, dont la mise sur le marché a été autorisée sur tout le sol national entre 1972 et 1990, et prolongée jusqu’en 1993 aux Antilles par le biais de dérogations ministérielles.

Déversée par épandage, la molécule a contaminé plus de 50 % des sols de Martinique et de Guadeloupe, ainsi que les eaux des rivières et eaux maritimes proches par l’effet du ravinage ; selon Santé Publique France, plus de 90 % de la population locale adulte a été exposée à la chlordécone par la consommation de produits agricoles et animaliers contaminés, avec pour conséquence le risque de développer une pathologie inhérente pour 25 % des Martiniquais et 14 % des Guadeloupéens.

Ainsi, en 2019, l’INSERM a jugé vraisemblable la causalité de la relation entre l’exposition à la chlordécone, considérée comme perturbateur endocrinien, et le risque de survenue de cancer de la prostate -reconnu maladie professionnelle pour les ouvriers agricoles depuis 2022-, dont le taux d’incidence aux Antilles est un des plus élevés au monde ; il existe également une suspicion d’augmentation des risques de leucémie, et d’incidence sur la fertilité.

Les conséquences environnementales sont également particulièrement dramatiques, avec une imprégnation durable des sols par la chlordécone, du fait de la structure chimique très stable de la molécule et des techniques de dépollution non encore abouties ; la perdurance de la contamination est estimée de plusieurs dizaines à plusieurs centaines d’années, selon le type de sols.

Pour ces raisons, la proposition de loi indique également que l’Etat s’assigne pour objectifs la dépollution des terres et des eaux contaminées par la molécule et ses produits de transformation, en érigeant comme priorité nationale la recherche scientifique sur leurs effets sanitaires et environnementaux, l’indemnisation des victimes de cette contamination et de leurs territoires, et l’amélioration de la prévention sanitaire de la populaire, notamment par la systématisation d’un dépistage du cancer de la prostate pour les populations locales, à partir de quarante-cinq ans.

Le texte précise enfin qu’une instance indépendante sera chargée d’évaluer l’atteinte de ces objectifs, et devra remettre un premier rapport au Gouvernement au plus tard fin 2025, puis tous les trois ans, sur les actions entreprises.

Ainsi, la proposition de loi, qui doit encore être approuvée par le Sénat, pose les bases attendues d’un principe de responsabilité de l’Etat et d’indemnisation des victimes. Les modalités de mise en œuvre des objectifs fixés ne sont pas connues à ce jour ; elles feront l’objet d’un prochain Flash Info, dès leur formalisation.

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