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Précisions sur la portée de l’obligation de conseil du maître d’œuvre

Par une décision rendue le 22 décembre 2023, le Conseil d’Etat a précisé que le devoir de conseil du maître d’œuvre implique que ce dernier signale au maître d’ouvrage toute non-conformité de l’ouvrage aux stipulations contractuelles, aux règles de l’art et aux normes qui lui sont applicables (CE, 22 décembre 2023, n°472699, aux tables).

En l’espèce, un office public de l’habitat (OPH) a confié la maîtrise d’œuvre de la construction d’un ensemble de quarante logements à un groupement dont le mandataire était la société SIZ’-IX Architectes.

La réception de l’ouvrage a été prononcée avec réserves par des décisions des 2 novembre et 18 décembre 2015 et les dernières réserves ont été levées par décision du 2 novembre 2016. A l’issue d’un contrôle du respect des règles de construction effectué le 12 juillet 2016, le directeur départemental des territoires de l’Yonne a mis en demeure l’OPH de mettre les logements en conformité aux normes portant sur leur aération et leur accessibilité aux personnes handicapées.

Par un jugement du 2 juin 2020, le tribunal administratif de Dijon a fait droit à la demande de l’OPH tendant à la condamnation de la société SIZ’-IX Architectes à lui verser la somme de 80 482,06 euros hors taxes correspondant au coût de ces travaux de reprise.

Par un arrêt du 2 février 2023, contre lequel l’OPH se pourvoit en cassation, la cour administrative d’appel de Lyon a annulé ce jugement et rejeté ses conclusions.

Se posait ainsi au Conseil d’Etat la question de la portée du devoir de conseil qui incombe aux maîtres d’œuvres au cours de leur mission d’assistance aux opérations de réception (voir notamment en ce sens : CE, 5 mars 1993, n°110580, aux tables). En d’autres termes, le maître d’œuvre était-il tenu de signaler au maître d’ouvrage que l’ouvrage méconnaissait les normes qui lui sont applicables ?

Par un considérant de principe, le Conseil d’Etat répond par la positive et précise la portée du devoir de conseil qui incombe aux maîtres d’œuvre :

« 2. La responsabilité des maîtres d’œuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée dès lors qu’ils se sont abstenus d’appeler l’attention du maître d’ouvrage sur des désordres affectant l’ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l’ouvrage ou d’assortir la réception de réserves. Ce devoir de conseil implique que le maître d’œuvre signale au maître d’ouvrage toute non-conformité de l’ouvrage aux stipulations contractuelles, aux règles de l’art et aux normes qui lui sont applicables, afin que celui-ci puisse éventuellement ne pas prononcer la réception et décider des travaux nécessaires à la mise en conformité de l’ouvrage ».

En application de ce considérant, le Conseil d’Etat juge ainsi en l’espèce que la cour administrative d’appel de Lyon a commis une erreur de droit :

« 3. Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que la cour administrative d’appel de Lyon a jugé que les non-conformités aux règles de construction des bâtiments d’habitation neufs relevées par la direction départementale des territoires de l’Yonne, mentionnées au point 1, n’auraient pas pu figurer au nombre des réserves assortissant la réception au motif qu’elles ne constituaient pas des non-conformités aux spécifications des marchés de travaux et qu’en admettant qu’elles relèvent d’erreurs de conception de l’ouvrage, leur signalement ne relevait pas de la mission d’assistance aux opérations de réception incombant au maître d’œuvre. Elle en a déduit que la responsabilité contractuelle de ce dernier pour manquement à son devoir de conseil à la réception ne pouvait être engagée pour ne pas les avoir signalées au maître d’ouvrage. En statuant ainsi, alors qu’il résulte de ce qui a été dit au point précédent que le devoir de conseil du maître d’œuvre impliquait que la société SIZ’-IX Architectes signale à l’OPH Domanys, lors des opérations de réception, toute non-conformité de l’ouvrage aux normes qui lui sont applicables, notamment aux prescriptions techniques en matière de construction relatives à l’aération des logements et à leur accessibilité aux personnes handicapées, afin que celui-ci puisse éventuellement ne pas prononcer la réception et décider des travaux nécessaires à leur mise en conformité, la cour administrative d’appel de Lyon a commis une erreur de droit ».

En résumé, le maître d’œuvre était tenu, en vertu de son devoir de conseil, de signaler à l’OPH toute non-conformité de l’ouvrage aux normes qui lui sont applicables, notamment celles relatives aux prescriptions techniques en matière de construction relatives à l’aération des logements et à leur accessibilité aux personnes handicapées.

Engage ainsi sa responsabilité contractuelle le maître d’œuvre qui s’est abstenu de signaler toute non-conformité de l’ouvrage aux normes qui lui sont applicables.

Précisons enfin que la cour administrative d’appel de Lyon a certainement considéré que l’accessibilité relevait de la conception de sorte que la responsabilité du maître d’œuvre ne pouvait pas être engagée au titre de son devoir de conseil lors des opérations de réception (qui relève de la responsabilité contractuelle mais aurait peut-être pu l’être sur le fondement de la garantie décennale) alors que le Conseil d’Etat a considéré que l’accessibilité étant régie par des normes, elle relevait nécessairement du devoir de conseil lors des opérations de réception, indépendamment de l’éventuelle responsabilité décennale du maître d’œuvre en raison de la conception du bâtiment.

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