Par un arrêt en date du 20 mai 2021, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a jugé qu’un maire ne pouvait faire usage de ses pouvoirs de police administrative générale pour interdire l’installation de cirques d’animaux sauvages, en l’absence de circonstances locales particulières susceptibles d’entraîner des troubles à l’ordre public.
En l’espèce, le Maire de la Commune de Pessac avait, par un arrêté en date du 25 octobre 2016 pris sur le fondement du pouvoir de police qu’il tient des dispositions des articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales (ci-après « CGCT »), interdit l’installation de cirques avec animaux sauvages en vue de leur représentation au public sur le territoire communal. Des associations de défense des cirques ont alors demandé l’abrogation de cet arrêté. Du silence de la Commune, est née une décision implicite de rejet qui a fait l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le Tribunal administratif de Bordeaux. Ce recours ayant été accueilli par le Tribunal, la Commune a interjeté appel devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux.
Dans son arrêt, la Cour rappelle tout d’abord, et très classiquement, que s’il appartient au maire, en application des pouvoirs de police qu’il tient des dispositions de l’article L. 2212-1 et L. 2212-2 du CGCT, de prendre les mesures nécessaires pour assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques, les interdictions édictées à ce titre doivent être strictement proportionnées à leur nécessité.
Elle relève ensuite que l’arrêté litigieux « a été pris par le maire de Pessac sur le fondement de ces articles, aux motifs que les cirques itinérants ne peuvent offrir aux animaux sauvages un espace et des conditions de détention adaptés à leurs exigences biologiques, à leurs aptitudes et à leurs mœurs et de ce que cette situation constituait une atteinte aux « valeurs de respect de la nature et de l’environnement » ».
Toutefois, dans la droite ligne du jugement rendu en première instance, la Cour estime que le respect de la dignité animale n’est pas une composante de l’ordre public :
« 6. (…) d’une part la commune n’a justifié, pas plus en appel qu’en première instance, de l’existence d’un risque matériel avéré de trouble à l’ordre public en cas d’installation sur le territoire de Pessac de cirques ou de spectacles d’animaux en vue de leur présentation au public. D’autre part, les conditions de vie des animaux ne relèvent ni de la sûreté, ni de la sécurité ou de la salubrité publiques. Enfin, la circonstance que le traitement des animaux sauvages dans les cirques aurait un caractère immoral ne peut fonder légalement, en l’absence de circonstances locales particulières, qui ne sont pas établies, une mesure de police ».
À cet égard, les conclusions d’Aurélie Chauvin, Rapporteure Publique dans cette affaire, sont particulièrement éclairantes :
« Il résulte clairement de la motivation de l’arrêté contesté que l’interdiction de l’installation de cirques avec animaux sauvages en vue de leur représentation au public est fondée sur la volonté de garantir la moralité publique (…). Cette motivation ne se rattache pas, à l’évidence, à la fameuse trilogie « sécurité, tranquillité salubrité publiques » ; mais il est vrai que la moralité publique est de longue date, considérée selon la jurisprudence du Conseil d’État, comme un des buts en vue desquels la police municipale peut trouver à s’exercer (…). Mais le « respect de la nature et de l’environnement » ne nous paraît pas être l’un des composants essentiels de la moralité publique. Si la société est sans doute en train d’évoluer sur ce sujet, reste que le respect du bien-être animal, la « dignité de l’animal » sauvage ou non, n’est pas en l’état actuel du droit positif, une composante de l’ordre public à la différence de la dignité de la personne humaine placée au sommet des exigences de notre système juridique (…). Dès lors, le respect du bien-être animal qui motive l’arrêté contesté, s’il ne se rattache ni à l’ordre public traditionnel, ni à cette moralité publique, ne peut être protégé qu’à travers l’existence de circonstances locales susceptibles d’entraîner des troubles à l’ordre public, qui ne sont en l’espèce pas établies ».
Ainsi, aussi louables soient les motifs invoqués par le Maire de Pessac pour justifier l’interdiction de l’installation des cirques d’animaux sauvages sur le territoire de sa commune, il ne pouvait légalement, en l’absence de circonstances locales particulières susceptibles d’entraîner des troubles à l’ordre public, fonder une telle mesure de police.