Dans un arrêt du 22 mai 2015, le Conseil d’Etat est venu préciser que la méconnaissance de l’article 79 du code des marchés publics de 2001, prévoyant que le marché doit être notifié avant tout commencement d’exécution, n’est pas un vice d’une particulière gravité entachant d’illicéité le contrat.
En l’espèce, le Syndicat intercommunal pour les transports urbains de la région de Valenciennes (SITURV), en sa qualité de maître d’ouvrage, avait souscrit auprès de la société AXA Corporate Solutions Assurances, un contrat d’assurances « tous risques chantiers » aux fins de garantir les éventuels sinistres affectant le programme de construction de la première ligne de tramway de l’agglomération valenciennoise.
Toutefois, durant l’exécution de ce contrat, la compagnie AXA Corporate Solutions Assurances a refusé l’indemnisation d’un sinistre survenu sur ce chantier.
Suite au rejet de ses demandes indemnitaires devant le Tribunal Administratif de Lille, le SITURV a interjeté appel devant la cour administrative d’appel de Douai qui y fit droit.
Saisi d’un pourvoi en cassation par la société Axa Corporate Solutions Assurances, le Conseil d’Etat examine si l’application du contrat doit être écartée ou non dans la résolution du litige.
En premier lieu, avant d’examiner les deux moyens développés par la société Axa Corporate Solutions Assurances, la Haute-Juridiction rappelle les termes de la jurisprudence « Béziers I » (CE Assemblée 28 décembre 2009 Commune de Béziers, req. n° 304802) :
« Considérant que lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l’exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat ; que, toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel ».
En deuxième lieu, le Conseil d’Etat examine le premier moyen fondé sur la méconnaissance de l’article 79 du Code des marchés publics de 2001 qui prévoit que « les marchés publics doivent être notifiés avant tout commencement d’exécution », repris à l’article 81 du code des marchés publics de 2006.
La Haute-Juridiction considère que cette illégalité n’entache pas d’illicéité le contrat et que l’irrégularité commise n’est pas d’une gravité suffisante justifiant que l’application du contrat de marché public d’assurance soit écartée, notamment en ce qu’elle n’avait pas vicié le consentement des parties :
« Considérant qu’aux termes de l’article 79 du code des marchés publics, applicable au marché en litige : « Les marchés publics doivent être notifiés avant tout commencement d’exécution » ; qu’ainsi que l’a relevé la cour les parties au contrat ont prévu, par les stipulations des » conditions particulières » de celui-ci, une date de prise d’effet antérieure tant à sa signature qu’à sa notification, en méconnaissance des dispositions précitées de l’article 79 du code des marchés publics ; qu’en jugeant que cette illégalité n’entachait pas d’illicéité le contrat et que l’irrégularité commise n’était pas d’une gravité suffisante, notamment en ce qu’elle n’avait pas vicié le consentement des parties, pour justifier que l’application de ce contrat fût écarté, la cour n’a pas inexactement qualifié les faits de l’espèce »
En troisième lieu, le Conseil d’Etat s’interroge sur la possible nullité du contrat litigieux en raison des modifications apportées par le maître de l’ouvrage et le maître d’œuvre, avant sa signature, au programme des travaux que le contrat d’assurance devait couvrir.
En effet, le SITURV avait apporté plusieurs modifications au programme des travaux couverts par le marché sans en informer la compagnie d’assurance :
« Considérant toutefois que la société requérante soutenait devant la cour que le contrat litigieux était nul en raison des modifications apportées par le maître de l’ouvrage et le maître d’œuvre, avant sa signature, au programme des travaux que le contrat d’assurance devait couvrir, dès lors qu’en induisant ainsi son cocontractant en erreur sur la consistance des risques couverts, le SITURV avait commis une irrégularité d’une particulière gravité de nature à vicier le consentement de celui-ci ».
Sur ce point, le Conseil d’État relève que la Cour administrative d’appel de Douai a omis de rechercher si l’erreur sur la substance des travaux assurés par le contrat litigieux, résultant de la modification de leur programme décidée sans en informer les candidats au marché d’assurance, caractérisait un vice du consentement d’une gravité telle qu’il justifiait que le contrat soit écarté et le litige réglé sur un autre terrain :
« Qu’en s’abstenant de se prononcer sur ce moyen et de rechercher si l’erreur sur la substance des travaux assurés par le contrat litigieux, résultant de la modification de leur programme décidée sans en informer les candidats au marché d’assurance, caractérisait un vice du consentement d’une gravité telle qu’il justifiait que le contrat soit écarté et le litige réglé sur un autre terrain, la cour a insuffisamment motivé son arrêt et commis une erreur de droit ; que, par suite, l’arrêt attaqué doit être annulé. »
Cette dernière solution vient confirmer que le principe de loyauté des relations contractuelles ne peut venir « sauver » la validité du contrat lorsqu’un vice du consentement d’une particulière gravité est caractérisé.