Contrats publics : La légalité des clauses Molière en question

Par une instruction interministérielle du 27 avril 2017, le gouvernement a pris position sur la légalité des clauses, dîtes « clauses Molière », qui consistent pour les acheteurs publics à exiger, dans le cadre de leurs marchés de travaux, que tous les ouvriers affectés au chantier parlent français.

Le gouvernement estime que ces clauses sont illégales, en ce qu’elles contreviennent à la fois aux directives européennes, au code du travail et aux règles applicables à la commande publique.

1. Des clauses en contradiction avec le droit de l’Union européenne

L’instruction interministérielle rappelle en premier lieu, de manière plus générale, l’interdiction des actes tendant à limiter le recours aux travailleurs détachés.

En effet, la libre prestation des services implique qu’une entreprise d’un Etat membre puisse exercer librement son activité dans un autre Etat membre et qu’une restriction à ces principes, constitue une entrave dont le caractère discriminatoire ne fait pas de doute.

Ainsi, les clauses Molière sont envisagées sous l’angle de la discrimination indirecte au sens de la directive n°96/71/CE du Parlement européen et du Conseil et l’instruction rappelle que de telles mesures sont interdites :

« En conséquence, sera interdite toute mesure constituant une discrimination indirecte, entendue comme une mesure apparemment neutre mais susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour les entreprises étrangères, alors même qu’elle n’est pas justifiée par un objectif légitime et qu’elle ne consiste pas en un des moyens appropriés et nécessaires pour réaliser cet objectif. La Cour de justice considère ainsi que l’interdiction des discriminations indirectes dans l’accès à la commande publique a pour effet de prohiber «non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat » (CJCE, 3 juin 1992, Commission c/ République Italienne, aff. C-360/89).

C’est donc d’abord sous le prisme du droit de l’Union européenne que l’instruction fait ressortir l’illégalité des clauses Molière, qui sont regardées comme une limitation illégale au recours aux travailleurs détachés et une discrimination indirecte.

2. Une protection nationale déjà suffisante contre le travail illégal

Si les clauses Molière sont parfois présentées comme un moyen de lutte contre l’emploi irrégulier des travailleurs détachés, l’instruction interministérielle rappelle les mesures existantes en droit national en matière de lutte contre le travail illégal, qui sont à ce titre considérées comme suffisantes.

En effet, le code du travail impose déjà à l’employeur qui détache en France l’un de ses salariés des obligations de forme (déclaration préalable, désignation d’un représentant) et de fond (application d’un socle minimal de garanties ou «noyau dur» de droits pour les salariés détachés).

En outre, l’instruction interministérielle précise que les dispositions légales et conventionnelles applicables prévues par le droit du travail français permettent déjà une lutte contre le travail illégal, et ont par ailleurs été renforcées par plusieurs dispositions législatives telles que la loi n°2014-790 du 10 juillet 2014 visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale.

En tout état de cause, il est indiqué que les clauses Molières sont en contradiction avec le code du travail, pris en son article L. 1262-4-5 qui dispose que le maître d’ouvrage doit porter à la connaissance des salariés détachés les informations sur la règlementation qui leur est applicable, lesquelles doivent être facilement accessibles et traduites dans l’une des langues officielles parlées dans chacun des Etats d’appartenance de ces salariés.

Les clauses Molière sont donc considérées par l’instruction, de ce point de vue, comme inutiles et illégales :

« Le droit du travail prévoit donc le dispositif nécessaire à la lutte contre l’emploi irrégulier des travailleurs détachés. Ce dispositif rend inutile l’utilisation, en tout état de cause illégale, des instruments de la commande publique pour maîtriser le recours au travail détaché. »

3. Une incompatibilité avec les règles de la commande publique

Enfin, l’instruction du 27 avril 2017 indique qu’une clause imposant la maîtrise de la langue française pour l’exécution d’un marché public constitue une violation du principe de non-discrimination qui gouverne la passation desdits contrats, qu’une telle obligation figure dans une délibération ou dans les clauses contractuelles.

L’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics fait également obstacle à la clause Molière, plus particulièrement les articles 51 et 38 qui imposent que les conditions de participation des candidats aux procédures d’attribution des marchés publics et des contrats de concession ainsi que les conditions d’exécution de ces contrats soient liées et proportionnées à l’objet du contrat en cause.

Dès lors, une clause imposant la maîtrise de la langue française pour l’exécution d’un marché public ne pourrait éventuellement se justifier, par exception, que si elle est en lien avec l’objet du marché public ou du contrat de concession et nécessaire à son exécution, par exemple pour des marchés de prestations de formation devant être dispensés en français.

Au regard de ces différents éléments, l’instruction interministérielle du 27 avril 2017 conclut donc à l’illégalité des clauses Molière et prescrit aux préfets de les traiter comme telles dans le cadre du contrôle de légalité :

« Au total, les « clauses» précédemment décrites sont illégales et vous les traiterez comme telles, qu’il s’agisse de délibérations prévoyant de tels dispositifs ou de marchés publics ou contrats de concession contenant ces clauses. »

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