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Candidature d’une collectivité à un contrat de la commande publique : L’intérêt public local peut se démontrer par le simple fait que la candidature de la personne publique permet d’amortir des équipements dont elle dispose

Par un arrêt récent du 14 juin 2019, le Conseil d’État a précisé la notion d’intérêt public local, qui est l’un des critères conditionnant la possibilité pour une collectivité territoriale ou un EPCI de candidater à un contrat de la commande publique.

Dans cette affaire, le département de la Vendée avait engagé une procédure d’appel d’offres en vue de la réalisation de travaux de dragage d’un estuaire et avait attribué ce marché à une collectivité publique : le département de la Charente-Maritime.

A cet égard, le Conseil d’Etat a pu considérer, dans son célèbre avis rendu en 2000 Société Jean-Louis Bernard Consultant, qu’« aucun texte ni aucun principe n’interdit, en raison de sa nature, à une personne publique de se porter candidate à l’attribution d’un marché public ou d’un contrat de délégation de service public » (CE, avis, 8 nov. 2000, n° 222208).

Par ailleurs, la décision du Conseil d’État ARMOR SNC du 30 décembre 2014 (req. n° 355563) avait déjà permis de clarifier les conditions auxquelles une personne publique peut candidater à l’attribution d’un contrat de la commande publique.

Selon cet arrêt, la candidature de la personne publique doit répondre à un « intérêt public local », ce dernier étant établi si la candidature « constitue le prolongement d’une mission de service public dont la collectivité ou l’établissement public de coopération a la charge, dans le but notamment d’amortir des équipements, de valoriser les moyens dont dispose le service ou d’assurer son équilibre financier, et sous réserve qu’elle ne compromette pas l’exercice de cette mission ».

Le présent arrêt du 14 juin 2019 permet d’approfondir ce cadre juridique en apportant quelques précisions quant à la notion d’amortissement.

En l’espèce, la solution dépendait d’une question : l’amortissement d’un matériel acheté et utilisé par une collectivité publique dans le cadre des missions qui lui sont dévolues constitue-t-il un intérêt public local suffisant pour attribuer un marché à cette collectivité ?

Dans son arrêt la Cour administrative d’appel de Nantes avait fondé sa décision en tenant compte de la durée d’amortissement comptable de la drague utilisée par le Département de Charente-Maritime, afin d’apprécier l’intérêt public attaché à sa soumission.

Par un considérant de principe, le Conseil d’Etat contredit ce raisonnement et précise que la notion d’amortissement ne saurait être appréhendée d’un point de vue purement comptable :

« Ainsi qu’il a été dit au point 2, la candidature d’une collectivité territoriale à l’attribution d’un contrat de commande publique peut être regardée comme répondant à un intérêt public local lorsqu’elle constitue le prolongement d’une mission de service public dont la collectivité a la charge, notamment parce que l’attribution du contrat permettrait d’amortir des équipements dont elle dispose. Cet amortissement ne doit toutefois pas s’entendre dans un sens précisément comptable, mais plus largement comme traduisant l’intérêt qui s’attache à l’augmentation du taux d’utilisation des équipements de la collectivité, dès lors que ces derniers ne sont pas surdimensionnés par rapport à ses propres besoins. Par suite, en se bornant à prendre en compte la durée d’amortissement comptable de la drague  » Fort Boyard  » pour apprécier l’intérêt public local de la candidature du département de la Charente-Maritime, la cour administrative d’appel de Nantes a commis une erreur de droit. »

Le Conseil d’État souligne que l’intérêt d’amortir des matériels s’apprécie en prenant en compte l’intérêt qui s’attache à l’augmentation de l’utilisation dudit matériel. Dans ces conditions, la Cour administrative d’appel de Nantes ayant fondé son refus sur la durée d’amortissement du matériel, le Conseil d’État annule cet arrêt. Cette application pragmatique de l’appréciation de l’amortissement est remarquable par sa souplesse, au bénéfice des collectivités territoriales souhaitant se porter candidate à l’attribution d’un contrat de la commande publique.

Réglant l’affaire au fond, le Conseil d’État finit par confirmer l’attribution du marché au Département. Il juge ainsi que l’utilisation de la drague hors du territoire départemental s’inscrit dans le prolongement du service public de création, d’aménagement et d’exploitation des ports maritimes de pêche dont le département a la charge.

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