Précisions sur l’office du juge dans le cadre d’un recours dit Béziers 1

Par une décision rendue le 27 novembre 2023, le Conseil d’État a jugé que le juge du contrat méconnaît son office lorsqu’il annule le contrat alors qu’il était saisi d’une requête portant uniquement sur son exécution (CE, 27 novembre 2023, n°462445, aux tables).

En l’espèce, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) a conclu un contrat d’exploitation des services ferroviaires régionaux pour la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2016 avec l’établissement public industriel et commercial SNCF Mobilités.

Par une délibération du 3 novembre 2017, le conseil régional de la région PACA a décidé de retenir un montant de contribution prévisionnelle régionale annuelle au titre du service 2016 de 241 610 588 euros.

Estimant cette contribution insuffisante, SNCF Mobilités a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la région PACA à lui verser, à titre principal sur le fondement de la responsabilité contractuelle et, à titre subsidiaire sur le fondement de la responsabilité quasi-contractuelle et quasi-délictuelle, la somme de 48 237 374 euros à parfaire, correspondant à la différence entre le montant de la contribution prévisionnelle pour l’année 2016, tel qu’estimé par lui, et le montant retenu par la délibération litigieuse, auquel s’ajoutait une somme correspondant au solde non versé, assortie des intérêts au taux contractuel à compter du 27 décembre 2016, outre la capitalisation des intérêts à compter du jugement à intervenir.

Par un jugement du 15 octobre 2019, le tribunal administratif de Marseille a notamment annulé le contrat précité. Par un arrêt du 19 janvier 2022, la cour administrative d’appel de Marseille, saisie par SNCF Mobilités, a notamment rejeté les conclusions de cette dernière dirigées contre le jugement en tant qu’il annule le contrat. La société SNCF Voyageurs, venant aux droits de SNCF Mobilités, se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu’il a rejeté le surplus des conclusions de son appel.

Ce pourvoi a été l’occasion pour le Conseil d’Etat de préciser l’office du juge administratif lorsqu’il est saisi d’un recours dit Béziers 1.

Après avoir rappelé son considérant de principe issu de l’arrêt Béziers 1, le Conseil d’Etat précise que :

« 5. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 que le tribunal administratif ne pouvait, sans méconnaître son office, annuler le contrat litigieux alors qu’il était saisi d’un litige relatif à l’exécution de ce contrat à l’occasion duquel le caractère illicite du contenu du contrat était soulevé par la seule voie de l’exception ».

En d’autres termes, si le requérant conteste uniquement une mesure d’exécution du contrat, le juge ne pourra pas annuler le contrat, cette action n’étant possible que dans le cadre d’un recours en contestation de validité du contrat.

Par ailleurs, le Conseil d’Etat a jugé qu’est sans incidence la circonstance selon laquelle le requérant avait invoqué, par la voie de l’exception, l’illicéité du contenu du contrat. Dans l’hypothèse où l’illicéité du contrat serait retenue, le juge ne pourrait qu’écarter l’application contrat mais ne pourrait annuler le contrat :

« 3. Le tribunal administratif de Marseille, qui n’était saisi que d’un litige indemnitaire relatif à l’exécution du contrat d’exploitation des services ferroviaires régionaux pour la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2016, a annulé ce contrat, alors que la région PACA, si elle avait invoqué en défense, par la voie de l’exception, le caractère illicite du contenu du contrat, afin que le litige soit réglé sur un terrain extracontractuel, ne l’avait pas saisi d’un recours de plein contentieux contestant la validité de ce contrat ».

Il en résulte que le juge doit seulement s’inscrire dans le cadre des demandes qui sont formées devant lui.

Le Conseil d’Etat précise également dans cette décision qu’est d’ordre public, devant le juge d’appel, le moyen tiré de ce que les premiers juges, saisis par une partie à un contrat d’un litige relatif à son exécution dans le cadre duquel l’illicéité du contenu du contrat était invoquée par la voie de l’exception, ont annulé ce contrat sans être saisis d’un recours de plein contentieux en contestant la validité :

« En rejetant l’appel de SNCF Mobilités contre ce jugement en tant qu’il annulait le contrat litigieux, alors qu’il lui appartenait de relever d’office le moyen tiré de ce que, saisi d’un litige relatif à l’exécution d’un contrat sans que l’une des parties ait demandé son annulation par la voie de l’action, le tribunal administratif de Marseille ne pouvait, sans méconnaître son office, annuler ce contrat, la cour administrative d’appel de Marseille a entaché son arrêt d’une erreur de droit ».

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