Par une décision du 18 juin 2024, qui sera mentionnée aux tables, le Conseil d’État est venu apporter d’intéressantes précisions sur les conditions dans lesquelles l’incompétence est susceptible de vicier un acte administratif signé par une autorité suppléante (CE, 18 juin 2024, n° 469204).
En l’espèce, l’établissement national des produits de l’agriculture et de la mer (ci-après « FranceAgriMer ») avait émis à l’encontre d’une société d’exploitation agricole deux titres exécutoires dont l’un, daté du 8 mars 2018, ramenait la dette de cette société à la somme de 22 306,50 euros au lieu des 321 861,08 euros initialement requis.
Par un jugement du 9 janvier 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la requête formée par la société d’exploitation agricole aux fins d’annulation de la décision du 8 mars 2018 de FranceAgriMer.
Sur appel de cette société, la cour administrative d’appel de Nancy a annulé ce jugement et la décision de FranceAgriMer du 8 mars 2018 en retenant l’incompétence de sa directrice générale adjointe pour signer le titre exécutoire litigieux, au motif qu’il ne résultait pas de l’instruction, que ce soit notamment au regard des mentions du titre exécutoire ou des écritures de FranceAgriMer, que cette dernière aurait signé l’acte litigieux au titre d’une suppléance justifiée par l’absence de la directrice générale.
Cet arrêt a donné l’occasion au Conseil d’État, saisi en cassation par FranceAgriMer, de préciser que :
« 4. Lorsqu’une autorité exerce la suppléance d’une autre autorité, en application d’un texte ou parce qu’elle a vocation, tant par la place qu’elle occupe dans la hiérarchie du service concerné que par le rôle qu’elle y assume, à le faire en cas d’absence ou d’empêchement de l’autorité compétente, les actes administratifs signés par elle et entrant dans le champ de compétence de l’autorité qu’elle supplée ne peuvent être regardés comme entachés d’incompétence lorsqu’il ne ressort pas des pièces du dossier que les conditions de cette suppléance, et notamment l’absence de l’autorité suppléée, n’étaient pas satisfaites. La seule circonstance que l’acte en cause ne précise pas qu’il est pris au titre de cette suppléance n’est pas de nature à établir que ces conditions n’étaient pas satisfaites (…). »
Autrement dit, lorsqu’une autorité a vocation à assurer la suppléance d’une autre autorité1, le cas échéant en cas d’absence de cette dernière, c’est seulement lorsqu’il ressort des pièces du dossier que l’autorité suppléée n’était pas effectivement absente que l’acte administratif signé par l’autorité suppléante peut être regardé comme entaché d’incompétence.
Selon la Haute juridiction, les juges d’appel ne pouvaient donc, sans commettre d’erreur de droit, retenir l’incompétence de la directrice générale adjointe de FranceAgriMer, qui avait vocation à assurer la suppléance de sa directrice générale, du seul fait que la preuve de l’absence de cette dernière n’était pas rapportée.
1. Tel est en principe le cas lorsque la suppléance est prévue par un texte (CE, Sect., 10 déc. 1965, SA d’exploitation du nouveau casino municipal de Menton, n° 61275), mais le Conseil d’État admet exceptionnellement qu’il existe une suppléance sans texte (V. not. en ce sens : CE, 3 avr. 1991, n° 92950).