Espace client

Marché public : La clause d’interprétariat validée par le Conseil d’Etat

Par un arrêt du 4 décembre 2017, le Conseil d’Etat valide la clause d’interprétariat introduite dans les clauses administratives particulières (CCAP) d’un marché de travaux publics.

En l’espèce, la région Pays-de-Loire a lancé une procédure en vue de la passation d’un marché public de travaux. Les articles 8 et 12 du CCAP du marché obligent les entreprises candidates à prévoir le recours à un interprète si le personnel présent sur le chantier ne parle pas suffisamment français, afin de leur exposer d’une part leurs droits sociaux et d’autre part les règles de sécurité.

Estimant que ces « clauses d’interprétariat » constituaient une entrave à la libre concurrence, le Préfet de région a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes d’annuler la procédure de passation. Le juge des référés du tribunal administratif a rejeté cette demande. Le Ministre de l’intérieur s’est pourvu en cassation contre cette décision.

Dans un premier temps, le Conseil d’Etat rappelle qu’une mesure nationale qui restreint l’exercice des libertés fondamentales garanties par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne peut être admise qu’à la condition qu’elle poursuive un objectif d’intérêt général, qu’elle soit propre à garantir la réalisation de celui-ci et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif :

« 6. Considérant qu’un pouvoir adjudicateur peut imposer, parmi les conditions d’exécution d’un marché public, des exigences particulières pour prendre en compte des considérations relatives à l’économie, à l’innovation, à l’environnement, au domaine social ou à l’emploi, sous réserve que celles-ci présentent un lien suffisant avec l’objet du marché ; qu’une mesure nationale qui restreint l’exercice des libertés fondamentales garanties par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ne peut être admise qu’à la condition qu’elle poursuive un objectif d’intérêt général, qu’elle soit propre à garantir la réalisation de celui-ci et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif ; qu’il suit de là que, lorsqu’elles sont susceptibles de restreindre l’exercice effectif des libertés fondamentales garanties par ce traité, les exigences particulières imposées par le pouvoir adjudicateur doivent remplir les conditions qui viennent d’être rappelées ; qu’à défaut, le juge des référés, saisi sur le fondement de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, constate le manquement du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence ».

Dans un deuxième temps, le Conseil d’Etat vérifie si ces conditions sont respectées dans la mise en place des deux clauses prévoyant la nécessité d’un interprète.

– La clause d’exécution relative à l’information sur les droits sociaux des ouvriers, conçue notamment pour « permettre au maître d’ouvrage d’exercer son obligation de prévention et de vigilance en matière d’application de la législation du travail », prévoit l’intervention d’un interprète « aux frais du titulaire du marché, afin que la personne publique responsable puisse s’assurer que les personnels présents sur le chantier et ne maitrisant pas suffisamment la langue française, quelle que soit leur nationalité, comprennent effectivement le socle minimal de normes sociales qui s’appliquent à leur situation ».

Le Conseil d’Etat, après avoir jugé que la clause présente un lien suffisant avec l’objet du marché, n’est pas discriminatoire et ne constitue pas une entrave à la circulation, confirme le raisonnement du juge des référés.

La Haute Juridiction estime, en effet, que la clause, qui ne doit pas occasionner des coûts excessifs au titulaire du marché, même si elle restreint l’exercice effectif d’une liberté fondamentale garantie par le droit de l’Union, poursuit un objectif d’intérêt général dont elle garantit la réalisation sans aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre :

« 10. Considérant, cependant, qu’il ressort de l’interprétation donnée souverainement à ces stipulations contractuelles par le juge des référés et des pièces qui lui ont été soumises qu’une telle clause, dont la mise en œuvre par le maître d’ouvrage ne doit pas occasionner de coûts excessifs au titulaire du marché, vise à garantir la réalisation d’un objectif d’intérêt général lié à la protection sociale des travailleurs du secteur de la construction en rendant effectif l’accès de personnels peu qualifiés à leurs droits sociaux essentiels ; que l’appréciation du niveau suffisant de maîtrise de la langue française se fait au cas par cas parmi les personnels employés sur le chantier et qu’un échange oral, avant l’exécution des travaux, avec un interprète qualifié, c’est-à-dire toute personne en mesure d’expliquer aux travailleurs concernés leurs droits sociaux essentiels, permet à l’entreprise de répondre à ses obligations ; que dans ces conditions, le juge des référés n’a pas commis d’erreur de droit ni inexactement qualifié les faits en jugeant qu’à supposer même que la clause litigieuse puisse être susceptible de restreindre l’exercice effectif d’une liberté fondamentale garantie par le droit de l’Union, elle poursuit un objectif d’intérêt général dont elle garantit la réalisation sans aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre ».

– La clause d’exécution relative à la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs prévoit que « pour garantir la sécurité des travailleurs et visiteurs sur le chantier lors de la réalisation de tâches signalées comme présentant un risque pour la sécurité des personnes et des biens, une formation est dispensée à l’ensemble des personnels affectés à l’exécution de ces tâches, quelle que soit leur nationalité ; que cette formation donne lieu, lorsque les personnels concernés par ces tâches ne maîtrisent pas suffisamment la langue française, à l’intervention d’un interprète qualifié ».

En adoptant le même raisonnement que pour la clause précédente, le Conseil d’Etat confirme également le raisonnement du juge des référés :

« 14. Considérant, cependant, qu’il ressort de l’interprétation donnée souverainement à cette clause par le juge des référés et des pièces qui lui ont été soumises que, nécessairement appliquée de manière raisonnable par le maître d’ouvrage pour ne pas occasionner de coûts excessifs au titulaire du marché, elle vise à permettre au maître d’ouvrage de s’assurer, en vertu notamment de l’article L. 4531-1 du code du travail cité au point 4 ci-dessus, que chaque travailleur directement concerné par l’exécution de tâches risquées sur le chantier est en mesure de réaliser celles-ci dans des conditions de sécurité suffisantes ; que, compte tenu du degré de risque particulièrement élevé à cet égard dans les chantiers de travaux et dans la mesure où le recours à une personne susceptible d’assurer l’information appropriée aux travailleurs dans leur langue ne concerne que ceux directement concernés par l’exécution de ces tâches, le juge des référés n’a pas entaché son ordonnance d’erreur de droit ni d’inexacte qualification juridique en jugeant que cette clause, à supposer même qu’elle puisse être susceptible de restreindre l’exercice effectif d’une liberté fondamentale garantie par le droit de l’Union, poursuit un objectif d’intérêt général dont elle garantit la réalisation sans aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre ».

Sources et liens

À lire également

Droit de l'urbanisme et de l'aménagement
Régularisation possible d’une autorisation d’urbanisme entachée de vice par la révision de l’économie générale du projet
Le Conseil d’Etat a jugé que, pour apprécier si un vice entachant une autorisation d’urbanisme est régularisable, il appartient au...
Droit de l'urbanisme et de l'aménagement
L’impossibilité de régulariser une autorisation d’urbanisme obtenue par fraude devant le juge administratif
Par une décision du 11 mars 2024, le Conseil d’État rappelle qu’en présence d’une autorisation d’urbanisme obtenue par fraude, le...
Droit de l'urbanisme et de l'aménagement
Précisions sur la possibilité d’exciper de l’illégalité d’un document d’urbanisme à l’appui d’un recours contre une autorisation
Le Conseil d’Etat a apporté des précisions sur l’application de sa jurisprudence « SCI du Petit Bois » relative à...
Droit de l'urbanisme et de l'aménagement
Régularité de la notification à un maire d’arrondissement d’un recours contre un permis de construire délivré par la maire de Paris
Par une décision du 30 janvier 2024 qui sera mentionnée aux tables, le Conseil d’État a jugé que la notification...