Par une décision du 10 novembre 2021, le Conseil d’État a jugé qu’un candidat qui, sans les avoir lui-même commises, a eu connaissance de manœuvres frauduleuses sans tenter de les prévenir ou d’y mettre fin peut être sanctionné par le juge d’une peine d’inéligibilité.
En l’espèce, à l’issue des opérations électorales qui se sont déroulées les 15 mars et 28 juin 2020 dans la commune d’Arue en Polynésie française, le tribunal administratif de Polynésie française, saisi d’une protestation électorale, avait annulé tant le premier que le second tour de ces élections mais avait refusé de prononcer l’inéligibilité de Mme I. et de ses colistiers dont la liste était arrivée en tête, alors qu’ils étaient impliqués dans une fraude aux procurations dénoncée par un autre candidat à l’élection, M. S. Les juges de première instance avaient alors estimé qu’il n’était pas établi par les pièces du dossier que l’accomplissement des manœuvres ayant eu pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin soit personnellement imputable à Mme I. ou à l’un des élus de sa liste.
Le tribunal avait également débouté M. S. de sa demande tendant à la réformation des résultats du second tour du scrutin et à la proclamation de son élection au motif qu’eu égard au principe du secret du vote, les votes par procuration litigieux ne pouvaient être regardés comme ayant bénéficié de manière certaine à la liste de Mme I. et les résultats comme étant acquis avec certitude au profit de sa liste ; de sorte qu’il n’y avait pas lieu de rectifier le résultat des élections, mais seulement de les annuler.
M. S. a alors interjeté appel devant le Conseil d’État.
Sur les conclusions tendant au prononcé de l’inéligibilité de Mme I. et de certains de ses colistiers, le Conseil d’État précise qu’il résulte des dispositions de l’article L. 118-4 du code électoral que « le juge de l’élection peut, le cas échéant d’office, déclarer inéligibles, pour une durée maximale de trois ans, des candidats ayant personnellement accompli des manœuvres frauduleuses ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin litigieux. Doivent être regardés comme tels les candidats qui, informés de l’existence ou de la préparation de telles manœuvres, se sont abstenus de prendre toute mesure utile en vue de les prévenir ou d’y mettre fin ».
Or, relève la Haute assemblée aux points 8 et 9 de sa décision :
« 8. En l’espèce, il résulte de l’instruction (…) que Mme H., candidate au premier tour de l’élection municipale d’Arue, et Mme B., également candidate au second tour, se sont personnellement livrées à des manœuvres présentant un caractère frauduleux et ayant pour objet et pour effet de porter atteinte à la sécurité du scrutin. Eu égard à la gravité de ces manœuvres, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de déclarer Mmes H. et B. inéligibles pour une durée de deux ans à compter de la présente décision.
9. En revanche, il ne résulte pas de l’instruction que Mme I. aurait été informée avant le scrutin des manœuvres frauduleuses (…) et y aurait pris part personnellement. En outre, si d’autres colistiers de Mme I. sont au nombre des mandataires bénéficiant de procurations irrégulières, cette seule circonstance n’est pas de nature à caractériser la commission, par ces personnes, des agissements visés par les dispositions de l’article L. 118-4 du code électoral. Dès lors, c’est à bon droit que le tribunal a rejeté les conclusions de M. S. tendant à ce que d’autres candidats que ceux mentionnés au point 8 soient déclarés inéligibles. Enfin, si M. S. demande que la collaboratrice de Mme I. (…) soit déclarée inéligible, ses conclusions ne peuvent qu’être rejetées dès lors que cette dernière n’a pas fait acte de candidature à l’élection contestée et qu’elle n’entre donc pas dans le champ d’application de ces dispositions ».
Le Conseil d’État fait en revanche sien le raisonnement des premiers juges concernant les conclusions de M. S. tendant à la réformation des résultats du second tour du scrutin et à la proclamation de son élection. Il estime que c’est à bon droit que le tribunal administratif de Polynésie française a rejeté ces conclusions et s’est borné à annuler l’ensemble des opérations électorales eu égard à l’écart de 79 voix entre les listes de Mme I. et de M. S.
Il en conclut donc que M. S. est seulement fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal a rejeté ses conclusions tendant au prononcé de l’inéligibilité de Mmes H. et B., colistières inscrites sur la liste de Mme I.