Ajustement du Conseil d’Etat en matière d’indemnisation du cocontractant en cas de résiliation

Le Conseil d’Etat considère désormais que l’indemnisation pouvant être accordée par la personne publique à son cocontractant en cas de résiliation du contrat ne peut excéder le montant du préjudice subi par ce dernier (CE, 16 décembre 2022, n° 455186).

En l’espèce, la commune de Grasse (Alpes-Maritimes), a conclu, le 9 février 1966, un bail qualifié d’emphytéotique d’une durée de soixante ans avec la SNC Grasse-vacances, sur un terrain situé au lieu-dit Clavary, avec comme obligation la construction et l’exploitation d’un village de vacances.

La SNC Grasse-vacances a exprimé sa volonté de trouver un accord afin de mettre fin à ce contrat. Ainsi, le conseil municipal de Grasse a, par une délibération du 20 septembre 2016 autorisé son maire à résilier ce bail de manière anticipée en contrepartie du versement, à titre indemnitaire, de la somme de 1 700 000 euros à la SNC de Grasse-vacances.

La délibération a fait l’objet d’une contestation par des tiers ; l’affaire est remontée jusqu’au Conseil d’Etat, lequel est venu préciser sa jurisprudence en matière d’indemnisation du cocontractant en cas de résiliation amiable d’un contrat administratif.

Précédemment, les juges du Palais Royal considéraient qu’une résiliation ne pouvait intervenir que « sous réserve qu’il n’en résulte pas, au détriment d’une personne publique, une disproportion manifeste entre l’indemnité ainsi fixée et le montant du préjudice résultant pour le concessionnaire, des dépenses qu’il a exposées et du gain dont il a été privé » (CE, 4 mai 2011, n°334280).

Cette expression « disproportion manifeste » permettait, théoriquement, à l’administration d’indemniser son cocontractant au-delà du préjudice subi. En effet, seule une indemnisation « manifestement disproportionnée » octroyée au cocontractant était sanctionnée par le juge administratif.

Dans ses conclusions sur l’arrêt commenté, le rapporteur public Thomas Pez-Lavergne a proposé l’alignement de la jurisprudence du Conseil d’Etat sur celle du Conseil Constitutionnel. En effet, selon lui, le juge constitutionnel est plus exigeant puisqu’il considère que le bon emploi des deniers publics ne serait pas assuré « si était allouée à des personnes privées une indemnisation excédent le montant de leur préjudice » (Cons. const., Décision n° 2010-624 DC du 20 janvier 2011).

Ainsi, le Conseil d’Etat a suivi les conclusions du rapporteur public et a adopté un nouveau considérant de principe selon lequel :

« Les parties à un contrat conclu par une personne publique peuvent déterminer l’étendue et les modalités des droits à indemnité du cocontractant en cas de résiliation amiable du contrat, sous réserve qu’il n’en résulte pas, au détriment de la personne publique, l’allocation au cocontractant d’une indemnisation excédant le montant du préjudice qu’il a subi résultant du gain dont il a été privé ainsi que des dépenses qu’il a normalement exposées et qui n’ont pas été couvertes en raison de la résiliation du contrat. »

Le Conseil d’Etat n’évoque dans cette décision que le cas d’une résiliation amiable ; on peut toutefois supposer que ce principe s’appliquerait également en cas de résiliation pour motif d’intérêt général.

S’agissant du montant du préjudice à indemniser, en l’espèce la Cour administrative d’appel de Marseille a jugé que le manque à gagner, résultant de la résiliation anticipée du contrat du 9 février 1996, ne pouvait correspondre qu’à la perte du bénéfice qui pouvait être escompté de l’exploitation du site pour la durée du contrat restant.

Toutefois, le Conseil d’Etat a estimé que la Cour avait commis une erreur de droit en refusant de tenir compte, pour déterminer si le montant de l’indemnité était excessif au regard du préjudice en résultant pour le cocontractant au titre du gain dont il a été privé, du prix que le cocontractant pouvait tirer de la cession des droits qu’il tenait du bail. Ainsi, il convient de retenir le montant le plus élevé des deux montants, correspondant soit au bénéfice escompté de l’exploitation du site pour la durée du contrat restant, soit à la valeur des droits issus du bail.

Le Conseil d’Etat annule donc l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille.

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