Requalification d’un BEFA en marche public de travaux

Par une décision du 3 avril 2024, le Conseil d’Etat requalifie un BEFA conclu par un centre hospitalier en marché public de travaux en raison de l’influence déterminante exercée par l’acheteur sur la conception des bâtiments caractérisée notamment par les nombreux aménagements intérieurs nécessaires aux activités thérapeutiques spécifiques devant s’y dérouler (CE, 3 avril 2024, Société Victor Hugo 21, n°472476).

Le centre hospitalier Alpes-Isère a conclu, le 31 août 2017, un bail en l’état futur d’achèvement (BEFA) avec la société civile immobilière Victor Hugo 21 ayant pour objet la location au centre hospitalier de deux bâtiments existants après l’aménagement de l’un d’eux ainsi que d’un nouveau bâtiment à construire, pour une durée de quinze ans.

Le centre hospitalier n’a toutefois pas pris possession des locaux à l’issue des travaux et a suspendu le paiement des loyers, puis a saisi le tribunal administratif de Grenoble d’un recours en contestation de la validité du contrat afin d’en obtenir l’annulation. Par un jugement du 31 mai 2021, le tribunal administratif a rejeté sa demande et, faisant droit aux demandes reconventionnelles présentées par la société Victor Hugo 21, l’a condamné à verser à cette dernière la somme de 553 499,78 euros. Par un arrêt du 27 février 2023, la cour administrative d’appel de Marseille a annulé ce jugement et le contrat, et rejeté les demandes reconventionnelles de la société, qui s’est alors pourvue en cassation.

Après avoir rappelé les dispositions de l’article L. 1111-2 du Code de la commande publique définissant le marché de travaux, le Conseil d’Etat indique que « le contrat par lequel un pouvoir adjudicateur prend à bail ou acquiert des biens immobiliers qui doivent faire l’objet de travaux à la charge de son cocontractant constitue un marché de travaux […] lorsqu’il résulte des stipulations du contrat qu’il exerce une influence déterminante sur la conception des ouvrages ».

Faisant sienne la jurisprudence de la CJUE (voir notre flash info sur cet arrêt : CJUE, 22 avril 2021, Commission c/ Autriche, C-537/19), le Conseil d’Etat précise, d’une part, que l’influence déterminante est caractérisée lorsque l’acheteur exerce une influence sur la structure architecturale du bâtiment, telle que sa dimension, ses murs extérieurs et ses murs porteurs, et d’autre part, que s’agissant des demandes de l’acheteur concernant les aménagements intérieurs, elles ne peuvent être considérées comme démontrant une influence déterminante que si elles se distinguent du fait de leur spécificité ou de leur ampleur.

Appliquant cette solution à l’espèce, le Conseil d’Etat juge que la cour administrative d’appel de Marseille n’a pas commis d’erreur de droit, ni inexactement qualifié les faits de l’espèce en requalifiant le BEFA en marché public de travaux dès lors que l’aménagement du bâtiment existant A et la construction et l’aménagement du bâtiment C répondaient aux besoins exprimés par le centre hospitalier et aux exigences qu’il a fixées relatives à l’implantation du bâtiment C dans la continuité du bâtiment A et aux nombreux aménagements intérieurs de ces deux bâtiments nécessaires aux activités thérapeutiques spécifiques devant s’y dérouler, ce qui caractérisait l’influence déterminante exercée par le centre hospitalier sur la conception de l’ouvrage.
Le Conseil d’Etat annule ensuite le contrat en raison de son contenu illicite dès lors qu’en prévoyant que les travaux seraient rémunérés par le versement de loyers et de surloyers pendant une durée de dix ans à compter de la livraison du bâtiment C, le contrat méconnaissait les dispositions de l’article L. 2191-5 du code de la commande publique relatif à l’interdiction des clauses de paiement différé.

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